vendredi 17 avril 2020

La guerre n'a pas un visage de femme, de Svetlana Alexievitch



La majorité des livres traitant de la Seconde Guerre mondiale, surtout ceux au front, sont en général des témoignages d'hommes. C'est bien plus rares d'en trouver avec des femmes qui livrent les leurs, ou alors elles sont allemandes cachant des juifs, ou bien issues de familles juives et envoyée aux camps. Svetlana Alexievitch, a, pendant sept ans, recueilli plusieurs centaines de cette version féminine de la guerre, écouté ces centaines de femmes russes qui ont été reléguées au second plan. Il y a de toute sorte: des soldates, des tireurs d'élites, des infirmières, brancardières, ou bien partisanes. Au front elles étaient des milliers, une majorité de 16, 17, 18 ans, et pourtant, beaucoup trop de personnes à ce jour ignorent que des femmes ont été envoyés se battre contre l'ennemi.


« Des textes, des textes. Partout: des textes. Dans des appartements et des maisons en bois, dans la rue, dans des cafés... Moi, j'écoute... Je me métamorphose de plus en plus en une seule grande oreille sans relâche tournée vers l'autre. Je "lis" les voix... »


414 pages de témoignages mis bout à bout, ça peut faire impressionné. Ce livre fait partie de ceux durs à lire, même plus que les autres témoignages de la guerre. Dans ces derniers, il y a toujours des moments plus ou moins calmes, mais dans celui-là, il n'y en a pas. Le plus court des témoignages fait deux phrases, et le plus long plusieurs pages. Ce qui m'a percuté, c'est que j'ai l'impression que l'auteure a vraiment partagé de manière brute les paroles de chaque femme. Chaque témoignage possède sa propre âme, certains ont même des tics de langage qui ont été conservés. Rien ne m'a semblé romancé, et l'horreur, le traumatisme sont palpables.

Svetlana s'efface entièrement, ses relances et questions ne sont que peu présentes dans ce livre. Elle nous parle de ces femmes, qui se sont trop longtemps tues mais qui ne veulent qu'être écoutées. Elle nous parle de cette guerre, d'une toute autre manière. Certaines avouent leur crainte d'être tuée, alors que d'autres sont terrifiées par la possibilité d'être blessée : un homme défiguré trouvera une femme, mais qui voudra d'une femme défiguréeEt bien sûr, comme dans chaque guerre, il y a l'après... les traumatismes restent, comme le fait de ne pas supporter la couleur rouge, ou bien avoir l'odeur du sang dans le nez et ce pendant des années. 


« Elles se sont tues durant si longtemps que leur silence, lui aussi, s'est changé en histoire. »


L'auteure nous explique ces deux visions de la guerre par une simple phrase: la guerre dite masculine se concentre sur des faits, des actions, quand la guerre féminine est sentiment. Et j'imagine, pendant son périple, combien de personnes ont du lui demander pourquoi elle s'obstinait à donner la parole aux femmes alors que tant d'hommes en parlaient déjà.

Oui, j'ai dû faire plusieurs pauses, mais ce livre en demande. Certains témoignages sont particulièrement horrifiants, et je n'aurais absolument pas pu le lire en deux ou trois jours. Mais il est très important de connaître cet aspect-là de la guerre, et pourquoi pas en étudier quelques passages au collège (personnellement, je n'ai eu que très peu de cours portant sur la guerre... on l'a juste évoquée rapidement, mais mes quatre années de collèges peuvent se résumer par un seul titre: l'Eglise à travers les siècles... et pourtant j'étais en établissement public !)


« Je recompose une histoire à partir de fragments de destin vécus, et cette histoire est féminine. Je veux connaître la guerre des femmes, et non celles des hommes. Quels souvenirs ont gardés les femmes? Que racontent-elles? Personne encore ne les a écoutées….»


Le livre est séparé en plusieurs parties, parlant du front, de la vie quotidienne, d'amour, des décorations, de l'après-guerre. J'avoue avoir été troublé par une femme qui expliquait qu'elle ne comprenait pas comment on pouvait offrir à ses enfants des avions de guerre en plastique et de fausses mitraillettes...

Je recommande un milliard de fois ce livre. C'est important et très intéressant de découvrir cette guerre vue par des femmes qui étaient somme toute ordinaires. L'auteure s'efface pour nous laisser écouter ces voix qui se sont trop longtemps tues. A lire d'urgence.



Les graines de pensées:

  1. Je ne connaissais pas, mais tu me donnes très envie d'y remédier.
    Je le note, et je me le procurerai dès que j'en aurai l'occasion.
    Ca a l'air d'être une lecture difficile, mais très intéressante !

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    1. ahah, heureux de te faire découvrir un nouveau livres alors !
      Et ça marche, il va falloir que je lise ton avis :)

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  2. Oh tu me donnes vraiment très envie de le lire! La Supplication est également très dur, même s'il y a un chapitre plus léger (l'humour de Tchernobyl).

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    1. Mais alors go go go ! Franchement, il vaut le coup. Et oui, je l'ai noté suite à tout le bien que tu m'en as dit :)

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  3. Ok, après m'être promis de ne jamais ô grand jamais lire des livres de témoignages, parce que ça me touche beaucoup trop, je me retrouve à en mettre un dans ma wish... ! J'espère que tu es fier ! ('m)

    Très belle chronique, sérieusement. Pas possible de passer à côté après avoir lu ça.

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    1. Ahahahah ! Courage pour la lecture, et je suivrai ton avis avec attention ma Truite ! ♥
      Merci beaucoup :3

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  4. Je ne connaissais pas mais, étant très attaché au témoignages de femmes à travers l'histoire, je suis dans le devoir de lui laisser sa chance ^^

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