jeudi 2 avril 2020

Pourquoi persone ne m'a aidée?, de Toni Maguire et Jackie Holmes.





C'est au CDI de mon ancien lycée que j'ai découvert Toni Maguire. Je lis des témoignages d'enfances saccagées depuis plusieurs années, et ceux de Toni m'ont toujours particulièrement bouleversé. A ce jour, j'en ai lu trois. D'abord sa propre histoire, en deux tomes, "Ne le dis pas à maman" et "Ils ont laissé Papa revenir", deux livres restés ancrés dans ma mémoire, et qui le resteront sans doute à jamais. Une colère, un sentiment d'injustice, j'ai ressenti énormément de choses en les lisant. Mais Toni n'a pas fait que raconter sa propre histoire. Quelques fois, elle se fait plume, relatant et retranscrivant de manière la plus précise possible les enfances d'autres personnes. Comme elle l'a fait avec Robbie Garner, un petit garçon ayant assisté au suicide de son père et ayant été envoyé à l'orphelinat de l'horreur, où se mêlent sévices sexuelles, privations, et humiliations.
Aujourd'hui, j'ai pu découvrir ce témoignage, où Toni s'efface pour laisser Jackie s'exprimer.

Vu de l'extérieur, Jackie est un élément perturbateur de son école. Violente contre les autres, contre elle-même, agitée, difficile. Sujette à de violentes crises au point de se jeter contre les murs en hurlant. Les psychologues, ses professeurs ne comprennent pas, elle a tout pour être heureuse: une grande maison dans un quartier bourgeois, une chambre pleine de jouets. Ses parents ne savent plus comment la canaliser. Peut-être un problème mental? En tout cas, le problème ne vient sûrement pas de sa famille...
Mais depuis ses cinq ans, Jackie est abusée sexuellement régulièrement par son oncle et certains des "amis" de ce dernier. Elle est battue, photographiée nue, victime de sévices inimaginables. Noyée sous la honte, Jackie garde le silence. Jusqu'au jour où elle décide de s'enfuir, de changer de vie. Mais son passé difficile la talonne et de nombreux obstacles l'attendent encore.



« Ce n'est jamais «mon» secret quand il demande à l'enfant de ne rien dire, mais «le nôtre». Ce n'est jamais lui qui aurait des problèmes, mais  «nous». Il joue avec les sentiments de l'enfant et créé une connivence par le biais de menaces à peine déguisées et de paroles aimantes. Mon oncle faisait partie de cette catégorie.»



Des témoignages d'enfances difficiles, j'en ai lu. Mais très peu m'ont laissé dans un tel état, entre l'horreur, la colère et la nausée. L'histoire de cette petite fille est absolument atroce. Il n'y a aucun autre mot, c'est atroce. Petite fille non désirée, rejetée sans cesse par sa mère qui préfère l'envoyer chez son oncle pour s'adonner à des "soirées" avec ses amis, incapable de voir que sa fille va mal. D'ailleurs, que sa fille aille mal ou pas, peu lui chaut, elle pense plus à sa réputation qu'au bonheur de son enfant.

Un énorme sentiment de colère envers cette génitrice indigne, et cet "oncle" surtout. Comment peut-on voir en une si petite fille un objet sexuel? Comment peut-on vendre sa propre nièce ou n'importe quel enfant à des "clients"? Sans dire que l'horreur monte crescendo, et qu'à chaque fois je me disais "Non, c'est bon là, il ne peut rien arriver de pire?!" avant de lire justement quelque chose de pire au chapitre suivant. Un sentiment important d'injustice, de questions. Pourquoi les psychologues, les professeurs, pourquoi aucun n'a demandé à cette petite fille si elle allait bien, plutôt que de lui dire "tu as tout pour être heureuse, tes parents ne savent plus quoi faire". Comment, au vu de ses réactions, aucun adulte n'a pu se douter qu'elle était abusée, qu'elle avait peur, pire, qu'elle était terrifiée!



« La fureur, un sentiment des plus intenses, avait déjà commencé à soudre en elle. Ce n'était d'abord qu'un soupçon, parfois dissimulé par son sourire ou son babillage, alors qu'elle apprenait à former des mots et des phrases. Personne ne la voyait ; pourtant, la fureur était bien là. Mais les sentiments n'ont pas besoin de mots pour exister : ils sont remisés dans un coin de notre esprit, inqualifiables mais présents.»




Ce témoignage est séparé en trois parties distinctes. Petite fille tourmentée, elle devient une adolescente rebelle, prête à tout pour évacuer la colère qui la ronge. Enfin, une adulte prend sa place, une adulte qui veut avant tout guérir les fêlures de son âme, guérir de son passé et se débarrasser des boulets qui la traînent encore vers l'arrière. Son enfance est atroce, son adolescence n'en est pas moins horrible. Son parcours est extrêmement chaotique, et j'imagine à quel point ça a dû être dur pour Jackie d'en parler, et dur pour Toni de retranscrire ça le plus fidèlement possible. D'ailleurs, Toni a prévenu avant le premier chapitre, que cette histoire l'avait touché, marqué, horrifiée. Elle ne l'avait fait dans aucun autre livre que j'ai lu d'elle.

Oui, ce livre m'a vraiment ému. Bouleversé. Je l'ai terminé il y a quelques heures, et je n'arrive toujours pas à m'en remettre. Juste à écrire cette chronique, j'en ai la gorge serrée, les larmes aux yeux. Enervé de voir qu'il existe tellement d'enfants ayant vécu l'enfer, ayant vécu ce qu'aucun enfant ne devrait jamais avoir à connaître. Enervé de voir que dans tellement de cas, l'agresseur ou le pédocriminel s'en sort sans condamnation. Soit parce que la justice lui trouve un genre d'excuse, soit parce que la victime a honte

Jackie est une femme incroyable, dont la force et l'envie de vivre sont inqualifiables. Lors de ce prologue, Toni nous parle de cette "petite femme charmante aux grands yeux bleus et au large sourire chaleureux". De cette femme qui a vaincu les démons de son passé, a pu se relever et faire de tout cela une force. Son courage, sa bonté sont exceptionnels, tout comme sa reconstruction. Elle revient de loin, mais elle a réussi. Je lui souhaite tout le bonheur maintenant qu'elle est loin de ces environnements toxiques dans lesquels elle a vécu. Je lui souhaite énormément d'amour et une vie paisible, accompagnée de sa femme et de ses enfants. Elle le mérite.

C'est un livre que je ne recommande pas aux personnes sensibles. Comme tous les témoignages, mais surtout celui-là. Tout comme je ne le recommande pas aux personnes étant dans une passe difficile, ou étant sensible à un des sujets abordés. Mais pour les autres personnes qui lisent les témoignages, je ne peux que le conseiller.








Les graines de pensées:

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